Les étrangers dans la société française (années 1880 – années 1980) (1/2)
La France est un des rares pays d’émigration importante au XIXème siècle. La définition de l’étranger naît avec la Révolution, à travers la notion de citoyenneté. En effet, l’étranger se distingue du citoyen par l’absence de droits civiques. L’étranger, au XIXème siècle, est avant tout un travailleur. Le terme « émigré » apparaît dans le dictionnaire à la fin du siècle : dans le Littré en 1876, puis dans le Larousse en 1888. Le XXème voit s’opérer un glissement sémantique. L’immigré désigne alors également le descendant d’immigrés et est ramené à ses origines. Retour historique sur l’immigration en France, un phénomène ancien par sa nature et récent par son ampleur.
Années 1880 – années 1930 : l’entrée dans l’immigration de masse.
Le fait d’inscrire et de conserver le nom, ainsi que tous les éléments biographiques de la population (profession, signalement physique) est une pratique qu’on retrouve déjà sous l’Ancien Régime. Après la Révolution française, l’instauration du système départemental permet l’extension du pouvoir des autorités préfectorales qui s’occupent de la collecte des informations relatives aux étrangers, et notamment le décompte des nationalités présentes.
Les communautés belge et italienne sont les principales nationalités étrangères au début du XXème siècle en France. L’historien Yves Lequin parle d’« impérieuse nécessité » de l’immigration en France pour cette période de l’histoire. Les raisons sont à la fois économiques et politiques. L’immigration est encouragée dans les années 1920 afin de participer aux travaux de reconstruction après la particulièrement destructrice Première Guerre mondiale. En effet, la démographie stagne en France, en raison d’une classe d’âge masculine décimée par la Guerre, et la reprise économique passe par l’immigration. L’immigration politique est aussi régie par des facteurs conjoncturels : arméniens fuyant le génocide entre 1915 et 1923, anti-fascistes italiens traqués par le régime de Mussolini, ou encore les républicains espagnols à l’arrivée au pouvoir de Franco. La France se pose comme une terre d’asile au début du XXème siècle. A cette immigration politique s’ajoute une immigration intellectuelle qui permet à la France d’accueillir parmi les plus grands artistes et scientifiques européens : Picasso (Espagne), Marie Curie (Pologne), Hemingway (Grande-Bretagne). Ainsi, en 1931, on dénombre 2.7 millions d’étrangers (6.8% de la population) en France.
La première mesure significative concernant les étrangers est le décret du 2 octobre 1888 qui astreint les étrangers résidant en France à déclarer leur présence auprès des autorités municipales, dans les quinze jours suivant son arrivée. La loi du 8 août 1893, elle, établit une distinction entre les étrangers qui résident sur le sol national métropolitain « non légalement » et ceux qui demeurent « légalement » en France. Pour être jugé en situation régulière, tous les étrangers doivent faire une demande de déclaration de résidence, dans les huit jours suivant leur arrivée. En échange, chaque demandeur reçoit un « certificat d’immatriculation » qui est obligatoire pour exercer un métier.
Une intégration difficile
Avec l’entrée en guerre, un décret spécial relatif aux mesures à prendre à l’égard des étrangers stationnés en France est adopté dès le 2 août 1914. En 1917, la création d’une carte d’identité des étrangers, qui sont un peu plus d’1,5 millions d’individus à cette période, traduit le désir de contrôler la main d’œuvre étrangère, d’assurer un statut juridique précis aux immigrants. Sous l’égide du Service central de la Carte d’identité des étrangers, installé auprès de la direction de la Sûreté générale du ministère de l’Intérieur, tous les étrangers sont soumis à une déclaration obligatoire qui correspond à une demande de carte.
Dans les premières années de la Troisième République, se pose la « question de l’immigration » dans le débat public et les discours politiques. En effet, la question de l’intégration des étrangers dans la société française se pose alors que les colonies apportent une nouvelle catégorie d’étrangers sur le sol français : les africains, notamment les nord-africains. Cette intégration est difficile, parfois violente. Ainsi, le sentiment nationaliste des français prend la forme radicale d’un massacre de travailleurs italiens à Aigues-Mortes en août 1893, nourri par le discours nouveau des premières ligues xénophobes d’extrême-droite comme la Ligue de la patrie française. Même dans les sphères les plus pacifistes du milieu intellectuel français des années 1920, à l’instar de Jean Giraudoux, on retrouve le terme de « pouilleux » pour désigner le juif étranger, dans des discours où la religion s’invite comme une deuxième caractéristique de stigmatisation. Si l’intégration des étrangers est rendue possible grâce au rôle socialisateur fort de l’Eglise, de l’usine, des syndicats, de l’école et du sport, elle demeure un problème grandissant. À la fin des années 1920, la dénomination d’ »indésirables » se banalise dans les textes officiels. Des mesures policières de contrôle se multiplient alors et le ministère de l’Intérieur recommande aux autorités préfectorales de recourir à des mesures spéciales de surveillance. Les expulsions tendent également à se généraliser. Ainsi sur la période 1930-1936, elles concernent près de 500.000 étrangers.
Les années 1930 marquent un tournant pour les étrangers en France, le début des années noires dont le paroxysme est atteint sous le régime de Vichy.